Rencontrer un lutin est somme toute assez extraordinaire. C’est pourtant l’aventure proposée à des personnes suivies par notre équipe mobile de soins palliatifs, avec qui travaille Uonam, une Neztoile (art-thérapeute). Constatant les effets de cette rencontre rapportés par les patients, mais aussi par les soignants dans les services, nous avons souhaité en comprendre quelques aspects. Un entretien semi-dirigé avec Manou Clair (Neztoile à ses heures de travail) a permis d’en avancer quelques thèmes, aidé par certains anthropologues comme Albert Piette, ayant travaillé sur la question du détail, et de Jankelevitch et Ricoeur, philosophes. L’enjeu pour nous est de voir à quels modes d’être et d’existence un personnage comme la Neztoile, ni complètement humain ni vraiment irréel, appelle la personne malade affrontée à la question du sens et par quels détails cette rencontre passe. La poésie de l’imaginaire porté par ce personnage sorti du bois métaphorise d’une façon unique et décalée le réel brut et sans masque d’une chambre d’hôpital. Des analogies peuvent s’observer entre la Neztoile, présence inhabituelle dans un hôpital où sont pris en charge des adultes, et des personnages comme le trickster ou le chaman. Ces approches anthropologiques nous donnent des pistes pour expliciter l’ambivalence qui entoure la Neztoile : d’une part, le rejet ou la peur ressentis par certains soignants, d’autre part, la magie de la rencontre avec un patient. Au fil de cette étude, le travail du sens se met au jour, tricotant entre l’absurde de la souffrance et la contemplation de la vie.
In: Médecine palliative, 2020-04, Vol.19 (2), p.92-99